Pourquoi la France doit-elle soutenir le rêve kurde ?

Pourquoi la France doit-elle soutenir le rêve kurde ?

Malgré un sombre contexte politique en Irak, les derniers succès militaires kurdes donneraient un nouveau souffre à la perspective de création d’un Etat kurde ;  une lumière d’espoir percerait-elle l’obscurité dans laquelle est plongée la région depuis plus d’une décennie ?

Un lien historique

Alors que la France démarre sa livraison d’armes aux combattants kurdes, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les Kurdes considèrent la France comme leur principal allié international. L’origine de ce lien pourrait remonter au traité de paix de Paris en 1919 ou à celui de Sèvres en 1920 au cours duquel avaient été tracées, pour la première fois, les contours d’un futur Etat kurde.

Plus récemment, des liens sociopolitiques se sont créés notamment lors de la présidence Mitterrandienne et dont la reconnaissance par les kurdes de Mme Danielle Mitterrand comme « mère des kurdes » fut l’apogée. Cette reconnaissance sanctionne des années de campagnes qu’elle dirigea sans relâche pour alerter le monde sur les répressions violentes menées par les Etats voisins contre les kurdes et dont le but étaient de détruire leurs rêves d’autodétermination.

C’est donc sans surprise que la terre française a été choisie pour offrir au héros de la résistance kurde, le célèbre Dr Ghassemlou, un dernier abri.

 

Une nation progressiste

Les kurdes forment le plus important groupe ethnique au monde dépourvu de nation.  A plusieurs reprises, l’Histoire a vu leur rêve d’indépendance balayé par les principaux acteurs géopolitiques de la région. Toutefois, les espoirs d’autodétermination n’ont jamais été si concrets qu’aujourd’hui dans une région où d’autres entités politiques issues de la période post-première-guerre-mondiale, notamment l’Irak et la Syrie, peinent à imposer leur légitimité territoriale.

D’autre part, un examen approfondi de l’Histoire kurde révèle de fascinants détails sociologiques. Bien des sources jurisprudentielles islamiques comme Lom’a al-Dameshqiyya nous livrent d’intéressantes informations notamment celle présentant la population kurde comme la plus revêche à toute hégémonie religieuse. La société kurde a indubitablement prouvé qu’elle était une société étonnamment ouverte, soucieuse d’intégrer les différentes ethnies qui la composent et sensible aux valeurs de laïcité. De nombreux principes démocratiques s’exercent sur ce territoire en l’absence de structure étatique moderne et sans être le produit artificiel d’une inculcation moderniste et verticale.

Notons par exemple que la région autonome du Kurdistan est considérée comme la seule entité représentative au Moyen-Orient dépourvue de prisonnier politique, où plusieurs actions ont été lancées en faveur de l’égalité des sexes, la liberté de la presse et autres formes de tolérance ethno-religieuses.

Tout cela ne constituerait-il pas, dans une région où ces valeurs se font bien rares, les pièces maîtresses d’un véritable prototype de société démocratique ?

 

Une diplomatie crédible

Un rapide tour d’horizon des dernières interventions désastreuses de l’Occident au Moyen-Orient révèle clairement les nombreux raccourcis idéologiques qui en furent la cause.

Dans une région que l’Histoire et les réalités du terrain ont rendue hostile à toute volonté d’intégrer des valeurs perçues comme étrangères, candide celui qui croyait qu’elle accueillerait à bras ouverts des produits d’exportation démocratique occidentaux vus comme un autre projet économique mal dissimulé.

Faut-il alors vraiment s’étonner que les « amis régionaux » de l’Ouest, dès leurs exigences politiques satisfaites, aient rapidement fait fi de leurs engagements envers les valeurs occidentales et, pour certains, se soient même transformés en ennemis jurés de tout ce que l’Occident représente ?

Une menace réelle

Il existe un nombre incalculable d’histoires parallèles sur la véritable origine de groupes fondamentalistes dans la région et notamment ceux de Jebhe al-Nusrat et de l’EI.

Certains dénoncent les pouvoirs occidentaux en considérant leur support matériel aux extrémistes comme un sous-produit de leur stratégie de soutien  à l’insurrection contre le régime de Asad en Syrie. D’autres accusent les aides financières directes des Etats sunnites notamment l’Arabie Saoudite et le Qatar. D’autres pointent du doigt le laxisme dont a fait preuve l’Etat Turc envers les trafics logistique et humain des djihadistes opérés à travers ses frontières. On soupçonne également qu’après les arabes, les citoyens turcs soient les plus nombreux dans les rangs de l’EI. D’autre part, l’ancien premier ministre irakien Al Maliki est allé jusqu’à accuser directement l’Etat kurde de traitrise et de pactes secrets avec l’EI ; accusations qui ont vite été balayées par les récentes confrontations militaires sur le terrain.

Des confrontations au cours desquelles les kurdes ont prouvé, par leur résistance et leur détermination à être en première ligne des combats, qu’ils étaient les seuls interlocuteurs fiables de la région. Même le précautionneux appareil diplomatique américain, celui qui a refusé d’intervenir en Syrie ou de livrer les armées réclamées par le gouvernement irakien face à la menace existentielle de l’EI, n’aurait pas pu ne pas reconnaitre leur fiabilité.

L’armée irakienne a, quant à elle, dévoilé une profonde division et des fondations sectaires qui la rendent inefficace face à une idéologie telle que celle de l’EI. De plus, le récent appel au djihad lancé par les autorités religieuses irakiennes pour former une milice shiite idéologique et suffisamment motivée pour combattre celle de l’EI risquerait d’être à l’origine d’un nouveau courant fondamentaliste régional.

Au milieu de ce sombre décor, une opportunité s’offre pourtant à la communauté internationale, celle de promouvoir une force locale intrinsèquement progressiste et séculière. La communauté internationale pourrait ainsi revenir sur de nombreuses erreurs historiques et participer aux fondations d’une démocratie séculière nourrie depuis longtemps d’espoirs de liberté et d’indépendance.

Trouverait-on ici finalement un bénéfice durable à la décennie de présence militaire occidentale ?

 

Nouvel Observateur – Paris, Publié le 20-08-2014 à 19h00