La récente reconnaissance par le Pape François de la théorie du Big Bang et sa déclaration « Dieu n’est pas un magicien doté d’une baguette magique » pourraient bien transformer cette baguette magique du créationnisme en épée de Damoclès.
A l’instar de toutes les congrégations organisées de la doctrine ecclésiastique, l’Eglise Catholique a connu son lot de détresse face aux découvertes des sciences expérimentales. Son Histoire regorge de confrontations idéologiques de ce type. Jean Paul II, par exemple, avait reconnu, non sans réticence, la validité des grands principes de l’évolution ; des évidences scientifiques de plus en plus difficiles à réfuter à une époque où les outils à disposition de l’Eglise à savoir la condamnation et la répression ne sont plus pratiquées.
Une problématique uniquement chrétienne ? Si l’on observe l’Islam, celui-ci est encore plus déstabilisé par les questions scientifiques. Le Coran accepte explicitement les mythes créationnistes de l’Univers comme dans les versets 7:54, 50:38 et en particulier dans le verset 2:117 qui dépeint clairement une certaine forme de « baguette magique de Dieu ». Alors même si des pans de l’Islam, comme le chiisme, ont accepté certaines notions de l’évolution dont ils essaient désespérément de démontrer la compatibilité avec les discours religieux, la plus grande majorité des théologiens islamistes se tiennent à une compréhension littérale de l’enseignement coranique.
Les religions du cœur
De l’autre côté de l’Atlantique, les assemblées de Dieu du nouveau monde semblent, elles pourtant, voguer sur des mers bien différentes de celles de leurs précurseurs européens. L’arme la plus efficace utilisée par les Eglises Evangéliques pour affronter et rejeter les découvertes les plus manifestes des sciences expérimentales modernes semble tenir dans l’affirmation : « Nous sommes une religion de cœur et non de raison ».
Les principales congrégations comme le Presbytérianisme, le Baptisme, le Méthodisme, et le Pentecôtisme semblent toutes accorder leurs prêches, d’une manière ou d’une autre, pour rejeter avec véhémence les découvertes scientifiques au point de les opposer sur ces sujets à leurs précurseurs réformistes européens.
Les Eglises évangéliques étiquetées « congrégations anti-scientifiques » doivent donc être examinées à la lumière de ce principe doctrinal, source de leur idéologie du déni et leur inaptitude à relever d’importants défis académiques et scientifiques. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’elles se sont évertuées à fabriquer des discours et des institutions scientifiques parallèles : académies et musées créationnistes, voire même journaux scientifiques « peer-reviewed » évangéliques.
L’impact idéologique
Revenons sur le vieux continent où les affirmations du Pape pourraient largement passer inaperçues, considérées par la presse comme « déjà vues », plus que comme un scoop !
Pourtant un examen approfondi de ces discours révèle un phénomène bien plus sérieux : l’inexorable relégation d’un Dieu jusque-là tout-puissant et architecte de l’univers à simple initiateur de vie, doté ensuite d’un certain pouvoir d’influence sur celle-ci ; une tendance somme toute dangereuse et aux conséquences existentielles significatives.
Au niveau européen, de récentes études ont également révélé que d’autres institutions religieuses peineraient à affronter ce type de défis scientifiques et navigueraient désormais en eaux troubles. Un sondage du clergé anglican indique qu’au moins 16% de ses ecclésiastiques auraient une idée confuse de Dieu et que 2% d’entre eux ne croiraient même pas du tout en son existence!
Prédire que cela suffira à sonner le glas de la foi organisée reste encore illusoire.
Cependant, de telles tentatives de modernisation du catholicisme ou de catholicisation de la modernité, feraient irrémédiablement dériver les ordres religieux traditionnels vers les eaux inconnues du déisme.
On ne peut pas ignorer ou minimiser l’impact dévastateur que peut avoir sur les piliers fondamentaux des religions occidentales une telle reconnaissance de la supériorité des lois de la nature. Qu’adviendrait-il alors de la pratique religieuse de base : la prière ? Comme l’a dit Ambrose Bierce, avec humour, cela consisterait à “demander que les lois de l’univers soient annulées sur simple prière d’un individu ». Au vu de ces nouvelles orientations, un tel symbolisme religieux se videra de tout son sens.
Ainsi, alors que le mythe créationniste – au cœur de tous les récits à la gloire de la toute-puissance de Dieu – semble avoir été sérieusement endommagé, les prémisses d’une inévitable transformation, devrait-on dire « d’une inévitable évolution » de la baguette magique de Dieu en épée de Damoclès se font sentir ; Epée désormais brandie au-dessus de toutes les institutions religieuses de l’ère moderne.
Nouvel Observateur – Paris – Publié le 05-11-2014