Après des années de franche hostilité et de menaces réelles de conflits, l’Occident et l’Iran semblent avoir ouvert une nouvelle voie à la réconciliation. Ce rapprochement marquerait surtout une transition idéologique significative au sein de la théologie politique iranienne jusqu’ici basée sur les principes de raison de foi et qui semblerait basculer vers un réalisme de raison d’Etat.
Toutefois, les fondamentaux idéologiques de la République Islamique présentent un niveau d’antagonisme tel qu’à eux seuls, ils feraient vite oublier ces sourires et poignées de main de façade.
Un prosélytisme islamique constitutionnel
Intéressons-nous d’abord à la constitution de la République Islamique dont le préambule appelle à une promotion mondiale des valeurs de l’Islam, à une unification des musulmans, et à un soutien sans limite à tous les « opprimés » du monde, en combattant activement «à l’intérieur et à l’extérieur du pays» les puissances dominatrices, clairement identifiées comme les pouvoirs hégémoniques de l’impérialisme international et leurs alliés régionaux.
Ce concept majeur apparait à nouveau dans le paragraphe consacré au rôle de l’armée de la RI et révèle à nouveau l’importance de la religion et de l’idéologie dans la formation de l’appareil militaire. Il souligne et proclame que le rôle des forces armées iraniennes ne devrait pas être limité à la protection des frontières nationales mais qu’il devrait surtout servir à répandre la parole de Dieu sur terre et à mener le combat idéologique millénaire qui facilitera la venue de l’Imam caché et qui concrétisera ainsi la prééminence de l’idéologie islamique.
Une rapide comparaison de la constitution iranienne avec celles de régimes totalitaires similaires suffit à révéler un incroyable potentiel d’hostilité que l’on serait bien en peine de trouver dans quel qu’autre système politique révolutionnaire que ce soit. La constitution Nord-Coréenne par exemple ne présente pas de telles déclarations ouvertement hostiles. Son Préambule insiste d’ailleurs sur les réalisations de cette idéologie en matière de « paix dans le monde et d’amitié entre les peuples ».
En fait, dans le Préambule de la Constitution iranienne, le rejet total de toutes les doctrines non-Islamiques, qu’elle qualifie de corrompues et décadentes, ne laisserait en théorie qu’une place infime à la reconnaissance d’autres convictions. Bien que le texte ne prône pas directement d’action militaire, il pourrait bien inspirer différents conflits idéologiques qu’il serait difficile de régler sous les feux d’une condamnation doctrinale inflexible issue d’un dogme religieux.
Il va sans dire que ces déclarations révolutionnaires doivent être lues sous l’éclairage d’une propagande idéologique et sentimentaliste alimentée par de nombreuses blessures de l’Histoire. Toutefois, ces proclamations ne contribuent pas à créer une confiance réciproque encore moins à établir les prérequis nécessaires au débat d’idées qui appelle parfois à de véritables compromis entre points de vue potentiellement divergents.
Le monde parallèle de la République Islamique
A l’aube de la révolution Islamique d’Iran et afin d’éliminer toutes les factions politiques rivales, feu l’Ayatollah Khomeini avait adroitement établi ses propres réseaux de police, d’institution financière, de système judiciaire, et même un important corps d’armée. Ceux-ci fonctionnent toujours conjointement et sous la supervision directe du Leader et souvent prévalent sur les institutions « républicaines ». Cet imperium considérable domine toujours l’ensemble des domaines socio-économiques et politiques iraniens à un point tel qu’on estime qu’environ la moitié de l’économie iranienne est réellement gérée par cette Hydre politico-économique non élue, opaque et omniprésente à tous les niveaux de l’organisation.
Prenons l’exemple des gardiens de la révolution. Ils sont aujourd’hui l’un des principaux acteurs de l’industrie pétrolière iranienne et ont cependant paradoxalement considérablement bénéficié des sanctions économiques de l’Occident contre l’Iran en réaffirmant leur présence dans tous les secteurs stratégiques de l’économie.
S’il est certain que non seulement ces puissantes institutions abritent de nombreux intérêts divergents voire même parfois incompatibles, qui plus est, elles représentent un obstacle sévère à toute implication internationale dans l’économie iranienne qui nécessiterait un tant soit peu de transparence et de responsabilité.
Notons également que si l’on mentionne fréquemment que les négociations actuelles se tiennent sous les auspices du Leader et de son puissant entourage, d’aucuns peineraient à identifier une quelconque approbation explicite de ces politiques étrangères conciliantes de la part de ces derniers. Il faut insister à nouveau sur le fait que selon la constitution iranienne, il appartient au Leader de définir les principales directives en matière de politiques étrangères de la RI.
Si la partie « semi-élue » du régime semble avoir recouvré le sens de l’intérêt national, comme en témoignent ses nombreuses préoccupations pragmatiques, et s’être décidée à troquer l’épée contre un rameau d’olivier, nous sommes encore bien loin de « l’Ethique en matière de discussion » selon laquelle chacun peut espérer arriver à un compromis. En effet, il faudrait pour cela un engagement clair des principaux acteurs et notamment de la toute puissante institution du Leader et des centres de pouvoir qui en dépendent.
Légitimité démocratique internationale
Enfin l’élément fondamental qui doit être souligné ici est que l’Iran a véritablement le droit à un développement pacifique de l’énergie nucléaire dans le respect des directives du TNP. Inutile de préciser que d’autres pays de la région dont certains bien moins soumis aux contrôles internationaux, sont allés beaucoup plus loin dans le développement de leurs programmes nucléaires.
Pour autant, ce qui devrait surtout inquiéter l’Occident ce sont les antécédents du Régime sur les questions démocratiques. Trois décennies de République Islamique ont démontré de manière non équivoque qu’un ordre politique qui n’a cessé de supprimer au sein de ses frontières toutes les opinions divergentes, qui a employé et continue à employer la violence contre son propre peuple ne peut se présenter devant la communauté internationale comme un interlocuteur fiable.
Dès lors, autant il est évident que le sujet du nucléaire iranien est le seul moyen dont dispose la communauté internationale pour faire pression sur l’Iran, autant cette question pourrait potentiellement éclipser des inquiétudes bien plus sérieuses concernant notamment le respect des principes fondamentaux des droits de l’Homme et des valeurs démocratiques, face auxquels les autres questions, dont celle du nucléaire ne seraient plus que des préoccupations secondaires.
Nouvel Observateur – Paris Publié le 11-02-2014