Monté du populisme dans l’ère des vérités alternatives !

Monté du populisme dans l’ère des vérités alternatives !

La plupart des observateurs ont présenté le Brexit et l’élection de Donald Trump comme des nouvelles preuves d’un ancrage durable du populisme dans le paysage politique mondial. Alors serions-nous simplement témoins d’un nouvel épisode du célèbre effet “Jesse Ventura” ou de celui de “l’homme blanc en colère” : des laissés pour compte ou ce spectaculaire succès serait-il également le fruit d’une mécanique lentement orchestrée par d’autres forces socio-politiques ?

 

Un populisme promu par les politiciens

Aux temps anciens, les politiciens usaient autant de la raison que de la rhétorique dans l’art de la persuasion de masse appelé « politique ». Paradoxalement, ces stylistiques politiques semblent être employées aujourd’hui par ces mêmes acteurs pour promouvoir, sous les apparats de « philosophie de libération », un discours « anti-politique ». De la Russie au Moyen-Orient en passant par l’Europe et les Amériques, qui pourrait encore ignorer la propension croissante des élus à utiliser cette même rhétorique pour dénigrer avec ardeur le rôle voire la pertinence même de la philosophie politique dans les démocraties modernes. Le célèbre style « anti-politique » de l’ancien premier ministre italien, Silvio Berlusconi hier encore, sujet de moquerie dans les cercles politiques occidentaux semblerait désormais s’y imposer, davantage comme norme que comme exception.

De nouvelles expressions, régulièrement employées, révèlent un certain mépris à l’égard de l’exercice de l’activité politique. Par exemple, en italien, « La Casta » est explicitement employée pour accentuer l’idée populiste du qualunquismo. « La politique politicienne » ou « le système » en français, expression devenue familière, sont des moyens linguistiques courants pour promouvoir une vision populiste basée sur un dénigrement de l’ensemble de la classe politique.

Que des mouvements anti-politiques notables dont l’identité n’est faite que de diatribes anti-élitistes, accusant le système politique de corruption et d’aliénation face aux attentes du peuple, que sont le Front National, l’UKIP, le Mouvement 5 étoiles, le Tea Party etc, usent de telles pratiques fondées sur la présomption de « vérité alternative » n’aurait fondamentalement rien de surprenant. Mais que les acteurs politiques traditionnels sous le prétexte de protéger le peuple contre de soi-disant menaces extérieures à savoir l’immigration et le terrorisme ou encore pour se donner une image plus démocratique y recourent, est bien plus intriguant. La montée exponentielle du nombre de referenda et de sollicitations directes de l’opinion publique en témoigne.

Un populisme promu par les médias

D’autre part, les médias occidentaux, confrontés à des difficultés financières liées à une fragmentation progressive de leur audience, adoptent, pour fidéliser leurs lecteurs, une posture de plus en plus interprétative au détriment du factuel. Cet essor du journalisme interprétatif est justifié par la soi-disant nécessité de « décrypter » les messages des politiciens présumés ambigus ou simplement malhonnêtes. Malgré cela, les raccourcis sentimentalistes pris pour gagner des parts d’audience semblent régulièrement primer sur l’éthique journalistique qui exige une analyse équilibrée et approfondie.

Ainsi, une relation secrète présumée entre un politicien et une puissance étrangère, un épisode de corruption ou de mauvaise gestion seront exploités « à tout va » sans être relativisés sur un plan qualitatif et quantitatif. D’ailleurs même le mot « politique » est régulièrement dévoyé pour désigner une activité publique obscure et rarement employé pour plébisciter son activité prépondérante, celle de promouvoir et de sauvegarder, à travers des représentants démocratiques très majoritairement responsables, les libertés et les droits rudement acquis.

Un populisme porté par les intellectuels

Le rôle le plus surprenant joué dans la promotion du populisme est celui des intellectuels en science politique. Même ceux qui ont œuvré à dénoncer la montée du discours populiste, semblent être atteints par ce syndrome. De nombreux chercheurs en science politique des universités occidentales, en souscrivant aux principes prédominants du « relativisme politique » finissent par jouer un rôle actif dans la promotion des agendas populistes. En plaçant, au prétexte de relativisme socio-culturel, sur une même échelle de comparaison la philosophie politique occidentale avec d’autres idéologies souvent antagonistes, ils contribuent de manière significative à la promotion des politiques basées sur cette notion de vérité alternative.

La collaboration efficace entre ces trois « faux-ennemis » : une partie des politiciens, des médias et des intellectuels a créé un vide idéologique immense et a offert aux mouvements populistes un terrain de chasse inespéré. Il faut souligner que dans certains cas, comme en Italie, en Grèce et en Espagne, les dommages semblent avoir été relativement contenus grâce à une forte infiltration des idéologies gauchistes dans les mouvements populistes qui ont su atténuer les discours xénophobes, chauvinistes et d’exclusion de l’extrême droite. Cependant, du fait des tendances anarchistes, ces solutions ne sauraient être stables et permanentes de par leur nature contradictoire, empoisonnée par un relativisme idéologique et un cercle vicieux d’alternatives factuelles.  A contrario, force est de constater qu’un retour aux fondements-mêmes de la philosophie politique occidentale nous permettrait de disposer des outils et des ressources nécessaires pour identifier correctement le chemin de la liberté, de l’égalité et de la justice distributive. La riche tradition républicaine, par exemple, sera en mesure de fournir des garanties socio-politiques, de réguler efficacement le pouvoir public en garantissant la promotion des principes de liberté, de légitimité et de justice sociale : ce même domaine dans lequel le libéralisme a lui systématiquement échoué.

Peur des étrangers, défi de sécurité, inégalités sociales, élus corrompus font incontestablement partie des thèmes les plus récurrents dans l’Histoire de la pensée politique.  Le vrai défi réside dans la capacité des intellectuels, des journalistes et des politiciens à relever le niveau du discours, à rejeter les revendications relativistes postmodernes et à défendre les principes universels des droits et de la justice promus et protégés par les préceptes de la démocratie représentative.

C’est dans ce courage que réside notre dernière chance non seulement d’assourdir les appels du populisme dans toutes les sphères de la société, mais aussi de proposer des alternatives valables, sur le plan épistémologique, à la confiance retrouvée des Etats autoritaires et des paladins du populisme qui semblent habiles à détourner à leur profit les outils bien malléables de la démocratie directe.

 

Le Monde – Paris – Publié le 16.02.2017