Terrorisme européen, un échec de la République

Terrorisme européen, un échec de la République

«L’ère des dangers est close, celle des difficultés va commencer», fut proclamé par les idéologues de la troisième république avec un grand optimisme. Mais, presque deux siècles plus tard, de grandes lignes de fractures idéologiques entretenues par une aliénation sociale considérable d’une partie des propres enfants de la république risquent de menacer existentiellement les fondations de la république.

Il est certain que de nombreux fondements idéologiques sont à l’origine des attaques terroristes récentes perpétrées à Paris et des nombreuses autres tentatives avortées. Il faut également tenir compte de plusieurs contextes internationaux aux influences non négligeables sur le plan national. Le Moyen-Orient, en particulier, avec ses conflits incessants sur fond d’injustice et de violence ethniques et religieuses qui y sévissent, semble être une source d’activismes idéologiques intarissable. C’est cependant à l’intérieur des frontières de l’Europe que je souhaite braquer les projecteurs sur d’autres facteurs politiques internes ; des facteurs politiques qui produiraient eux-mêmes les prétextes pour la légitimation de la violence.

Droits et devoirs civiques

 

Dans un récent discours prononcé à l’Institut du Monde Arabe, Le Président François Hollande a souligné “les droits et devoirs républicains” de tous les citoyens français, minorité musulmane comprise. Le Premier Ministre Manuel Valls, en dénonçant les discriminations sociales d’un point de vue spatial, est même allé jusqu’à assimiler certaines formes de ségrégation territoriale à ceux de l’apartheid. De telles affirmations, alors qu’elles désignent certains facteurs socio-spatiaux de ségrégation urbaine et même une institutionnalisation des processus par le bas ou par le haut de ghettoïsation, ne semblent pourtant pas aller assez loin pour souligner de manière adéquate la signification normative de telles réalités politiques destructives pour la République. En effet, elles semblent se limiter à une simple rhétorique de condamnation morale de la violence ou à des discours de réconciliation civique issue du consensus social sur des principes de droits et de devoirs.

 

Théorie politique républicaine

 

Toutefois, il est important d’illustrer les principaux préceptes de la doctrine républicaine dans le but d’évaluer le degré de sa pertinence socio-politique.

Le premier pilier du modèle républicain, comme formulé par ses principaux idéologues, se dresse contre ce qui a été qualifié d’imperium c’est-à-dire l’Etat devenant lui-même une force dominatrice dans la vie des libres citoyens. S’il va sans dire qu’à ce niveau vertical, dans la majorité des démocraties  occidentales, beaucoup a été fait pour réguler le pouvoir public et rendre le système politique plus représentatif, transparent et responsable, il est malgré tout évident qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine pour atteindre les idéaux républicains.

C’est, cependant, le second pilier de la doctrine républicaine qui ne semble pas avoir trouvé sa véritable place dans un système qui se réclame républicain. Cela concerne spécifiquement les directives contre la domination privée, dominium. Ce principe décrit la gestion horizontale de la relation de pouvoir entre acteurs privés dans le sens où les citoyens républicains non seulement doivent être libres de toute domination économique et matérielle mais doivent également être responsabilisés aux moyens de plusieurs dispositions de justice sociale et de partage équitable des richesses. Contrairement au modèle libéral, l’Etat humaniste républicain ne se caractérise pas par une simple non-ingérence dans les espaces privés en laissant une large autonomie aux équilibres auto-régulés des pouvoirs horizontaux. En effet, un Etat républicain s’autorise à réguler activement, voire même à intervenir agressivement, dans les espaces sociaux pour garantir l’absence de domination culturelle, normative et économique.

 

Un échec républicain

Force est de constater que c’est bien dans ce domaine que la respublica semble avoir échoué. Cette incapacité fondamentale à procurer les garanties républicaines de justice sociale semble, en effet, avoir fait de plusieurs espaces de la discrimination matérielle des zones favorables au développement de nombreux malaises sociaux. Une nouvelle étude menée au niveau mondial, a souligné de manière alarmante que désormais 1% de la population mondiale possédait autant de richesse que  les 99% restants. L’œuvre majeure de Thomas Piketty dans ce domaine témoigne clairement du fait que le développement de l’économie mondiale ne s’est pas toujours traduit par une diminution des inégalités sociales et a même généré une fragmentation sociale considérable due à un accès inéquitable aux ressources économiques.

 

Concernant la France, bien que beaucoup ait déjà été accompli dans ce domaine, notamment en comparaison avec d’autres démocraties occidentales, il est évident qu’un nombre significatif d’idéaux républicains ont systématiquement été négligés en faveur des impératifs économiques des politiques libérales. Bien des directives républicaines de défense de la justice sociale sous la forme d’égalité matérielle ou d’ascenseur social semblent avoir été écartées par les règles suprêmes du libre marché ou par les principes paralysants de la neutralité et de la non-ingérence de l’Etat.

 

A la lumière de ces observations, si l’on examine individuellement tous les actes de terrorisme et leurs auteurs, on y découvre les traces évidentes de cette injustice sociale qui aurait dû être au cœur de tous les programmes politiques d’un régime républicain. D’autre part, un déficit important de promotion des valeurs républicaines civiques à travers les soi-disant politiques d’appartenance a également joué un rôle majeur.

 

Bien que le spectre de l’idéologie continue à guider ces actes de violence, l’échec de l’Etat à remplir les promesses républicaines et à garantir un niveau adéquat de distribution équitable des ressources socio-économiques de l’espace commun ne doit pas non plus être sous-estimé. Ainsi, l’absence ou l’inadéquation de telles dispositions républicaines de justice sociale inclusive plonge non seulement le modèle républicain dans une « ère de difficultés » mais,  à nouveau, et inéluctablement le fait dériver vers une véritable « ère de danger » existentiel pour l’ensemble du contrat social républicain.

Respublica Publié le 20-01-2016